Gens de mer : l’absence de registre des heures peut coûter très cher aux employeurs !

La Cour de cassation vient de réaffirmer la lourde obligation qui pèse sur les employeurs maritimes concernant la preuve des heures de travail de leurs salariés. En annulant l’arrêt d’une Cour d’appel qui avait débouté un marin-cuisinier de sa demande d’heures supplémentaires, la Haute Juridiction rappelle que l’absence de tenue du registre obligatoire des heures de travail et de repos par l’employeur constitue une violation fondamentale des règles de preuve.

Les faits : un marin revendique des heures supplémentaires

L’affaire opposait un marin-cuisinier à son employeur. Suite à la fin de son contrat, le salarié a saisi la juridiction prud’homale pour obtenir le paiement de rappels de salaire au titre des heures supplémentaires qu’il estimait avoir effectuées.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait rejeté sa demande. Bien qu’elle ait constaté que le marin produisait un décompte précis jour par jour de ses heures et que l’employeur ne justifiait pas de la tenue du registre des heures quotidiennes de travail exigé par la réglementation, la Cour d’appel avait considéré que le salarié ne versait « aucun élément de preuve à l’appui de son tableau ».

Le marin s’est pourvu en cassation, reprochant à la cour d’appel d’avoir inversé la charge de la preuve.

La règle de droit : l’obligation du registre des gens de mer

Le litige portait sur l’application combinée des règles de droit commun de la preuve et des dispositions spécifiques au droit du travail maritime.

Les textes visés par la Cour de cassation sont clairs :

  1. L’article L. 5623-4 du Code des transports et l’article 18 du décret n° 2005-305 du 31 mars 2005 imposent au capitaine du navire de tenir un registre à jour des heures quotidiennes de travail et de repos des marins.
  2. Le marin doit recevoir et émarger une copie de ce registre le concernant.

La jurisprudence avait déjà établi qu’en cas de litige sur les heures supplémentaires, si le salarié fournit des éléments suffisamment précis, la charge de la preuve est partagée, mais l’employeur doit fournir les éléments permettant au juge de contrôler les horaires.

La décision de la Cour de cassation : inversion de la charge de la preuve

La Cour de cassation rappelle que l’obligation de l’employeur maritime ne se limite pas à la tenue de ce registre : il doit « justifier, en vue d’une discussion contradictoire, de la tenue de ce registre et de la remise de sa copie au marin intéressé ».

Dans cette affaire, l’employeur n’avait produit aucun élément de preuve, ni le registre obligatoire, ni aucun autre document de comptabilisation, se contentant de contester le décompte du salarié.

En rejetant la demande du marin au seul motif qu’il n’apportait pas d’éléments de preuve supplémentaires à l’appui de son décompte précis (alors que l’employeur était en défaut de produire le registre obligatoire), la Cour d’appel a violé la loi. Elle a fait peser sur le salarié une charge de la preuve qui revenait en grande partie à l’employeur en l’absence du document légal.

La Cour de cassation a donc cassé et annulé l’arrêt, soulignant que la Cour d’appel a inversé la charge de la preuve, ce qui est contraire aux textes régissant la durée du travail des gens de mer.

Portée de la décision

Cet arrêt constitue un rappel essentiel à l’ordre des employeurs du secteur maritime. La sanction de l’absence du registre est claire : non seulement l’employeur est en infraction avec la réglementation du travail maritime, mais il se place également dans une situation extrêmement difficile pour contester les heures supplémentaires revendiquées par le marin.

Dès lors que le marin produit un décompte suffisamment précis, c’est à l’employeur de produire le registre obligatoire (ou tout autre élément probant) pour permettre au juge de vérifier les horaires. À défaut, l’employeur s’expose à voir la demande du marin accueillie. 🚢

Texte officiel : Cour de cassation, 8 octobre 2025, pourvoi n° 24-17.726, publié au bulletin.

 

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