À la une du Journal Officiel de ce 30 décembre 2025, la promulgation de la loi n° 2025-1374 marque une étape historique dans le droit mémoriel français. Cinquante ans après la loi Veil, le législateur consacre la responsabilité de l’État dans les préjudices subis par les femmes et les praticiens sous l’empire des législations répressives antérieures à 1975.
I. Un nouveau paradigme de responsabilité mémorielle
L’article 1er de la loi pose le principe d’une reconnaissance solennelle par la Nation. Le texte qualifie l’application des anciennes dispositions pénales (notamment l’article 317 du Code pénal dans sa version antérieure à 1975) comme une violation caractérisée de plusieurs principes juridiques aujourd’hui fondamentaux :
- L’autonomie sexuelle et reproductive (désormais ancrée constitutionnellement).
- L’égalité femmes-hommes et le droit à la santé.
- Le droit au respect de la vie privée (Art. 8 CEDH).
Cette qualification juridique permet de passer d’une simple commémoration historique à une reconnaissance de l’illégitimité rétrospective des poursuites engagées durant plus d’un siècle (1870-1975).
II. Le champ de la reconnaissance : entre santé et justice
Le texte embrasse une réalité à la fois pénale et sanitaire. Il identifie trois catégories de victimes :
- Les femmes ayant eu recours à l’avortement : Reconnaissance des décès, souffrances physiques et morales liés à la clandestinité.
- Leurs proches : Extension de la reconnaissance aux victimes indirectes (préjudice par ricochet).
- Les « praticiens » de l’ombre : Reconnaissance explicite des traumatismes subis par les personnes condamnées pour avoir pratiqué ces actes.
Note historique : Le législateur fait ici écho à la violence de la répression sous le régime de Vichy, citant notamment le cas de Marie-Louise Giraud, guillotinée en 1943, illustrant l’époque où l’avortement était qualifié de « crime contre la sûreté de l’État ».
III. La création d’une Commission Nationale Indépendante
Inspirée par la loi de 2024 portant sur la réparation des condamnations pour homosexualité, cette loi institue, auprès du Premier ministre, une instance de recueil de la parole (Article 2).
Composition de la Commission
définie par l’article 2 de la loi :
| Collège de représentation | Nombre de membres | Profil des membres |
| Magistrature | 1 | Un membre du Conseil d’État ou un magistrat de la Cour de cassation. |
| Recherche & Histoire | 3 | Personnes désignées en raison de leurs travaux historiques ou de recherche sur l’avortement ou l’histoire des femmes. |
| Santé publique | 3 | Professionnels de santé désignés pour leurs connaissances dans le domaine de la santé gynécologique des femmes. |
| Société civile | 3 | Personnes désignées en raison de leur engagement associatif pour le droit et l’accès à l’avortement. |
Missions et Fonctionnement
La commission n’a pas pour rôle de réviser les procès passés au sens strict de la procédure pénale, mais d’assurer une fonction de « Vérité et Réconciliation » :
- Recueil de la mémoire : Audition des survivantes et des témoins.
- Identification des injustices : Travail sur les archives judiciaires pour quantifier et documenter les condamnations (estimées à plus de 11 660 entre 1870 et 1975).
- Indépendance : Un décret à paraître viendra préciser les garanties d’autonomie de cette instance.
IV. Vers une réparation financière ?
À ce stade, l’article 2 se concentre sur la mission mémorielle. Contrairement à certains dispositifs d’indemnisation automatique, la loi met l’accent sur la reconnaissance morale. Toutefois, pour le juriste, la reconnaissance par l’État d’une « atteinte aux droits fondamentaux » (Art. 1) pourrait théoriquement ouvrir la voie à des recours en responsabilité pour faute de l’État, bien que la prescription et la légalité des délits à l’époque des faits constituent des verrous juridiques majeurs.
Cette loi doit être lue en coordination avec la constitutionnalisation de la liberté de recourir à l’IVG (mars 2024), parachevant ainsi l’intégration de ce droit dans le bloc de constitutionnalité et le patrimoine démocratique national.
Lien vers le texte officiel : LOI n° 2025-1374 du 29 décembre 2025, J.O. du 30.







