Journalistes de l’audiovisuel : la Cour de cassation valide le droit de départ en cas de cession d’une chaîne de télévision

Par un arrêt du 13 novembre 2025, la Cour de cassation est venue confirmer et clarifier l’application de la clause de cession (ou clause de départ), traditionnellement associée à la presse écrite, aux journalistes professionnels employés par des entreprises de communication audiovisuelle.

Contexte de l’affaire : une rupture motivée par la cession

L’affaire opposait un journaliste professionnel à son employeur, une société de télévision.

  • 1994 : il est engagé par la chaîne.
  • 31 mars 2017 : celle-ci est cédée à un groupe télévisuel.
  • 12 juin 2019 : Plus de deux ans après la cession, le journaliste demande la rupture de son contrat de travail, invoquant expressément la clause de cession prévue à l’article L. 7112-5 du Code du travail.
  • Contestation : L’employeur conteste le droit du salarié à se prévaloir de cette clause, arguant qu’elle ne s’applique qu’à la cession d’un journal ou d’un périodique, excluant ainsi les entreprises audiovisuelles.

Le litige portait donc sur deux points majeurs :

  1. L’applicabilité de la clause de cession aux journalistes de la télévision.
  2. L’existence d’un lien de causalité entre la cession de 2017 et la rupture demandée en 2019.

1er moint : le droit de départ s’applique-t-il aussi aux journalistes audiovisuels ?

Le premier moyen soulevé par l’employeur visait à écarter le bénéfice de la clause de cession (article L. 7112-5 du Code du travail) en raison de la nature de l’entreprise, une société de télévision.

⚖️ La position de la Cour de cassation

La Cour rejette cet argument en s’appuyant sur la combinaison de plusieurs articles du Code du travail :

  • Article L. 7111-5 du Code du travail : Il confère explicitement la qualité de journaliste professionnel aux personnes exerçant leur profession dans une ou plusieurs entreprises de communication au public par voie électronique (ce qui inclut la télévision).
  • Interprétation combinée : La Cour en déduit que les dispositions de l’article L. 7112-5 peuvent être invoquées par les journalistes professionnels quelle que soit l’entreprise de presse, y compris celles de communication au public par voie électronique.

Conclusion sur le premier moyen

La Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel : la clause de cession s’applique bien aux journalistes professionnels des entreprises de communication audiovisuelle (télévision, etc.) et n’est pas limitée aux seuls journaux et périodiques. Le terme « cession du journal ou du périodique » (Art. L. 7112-5) doit être interprété à la lumière des dispositions plus générales qui définissent le statut de journaliste professionnel dans l’audiovisuel.

2e point : le lien de causalité et l’absence de délai

Le second moyen soulevé par l’employeur portait sur le lien de causalité entre la cession de 2017 et la rupture intervenue plus de deux ans plus tard, en 2019. L’employeur suggérait que la rupture était motivée par d’autres raisons, notamment des problèmes familiaux ou le départ d’un dirigeant.

⏱️ La souplesse du Délai

La Cour de cassation rappelle un principe essentiel :

  • Absence de délai : L’article L. 7112-5 du Code du travail n’impose aucun délai au journaliste pour mettre en œuvre la clause de cession.

🔍 L’exigence du motif

Pour que le journaliste puisse bénéficier de la clause, il suffit que la rupture du contrat de travail ait été motivée par la cession.

  • Constatations souveraines : La Cour constate que la lettre de rupture du journaliste visait expressément la seule cession capitalistique de la société comme cause de la rupture.
  • Pouvoir des juges du fond : Elle estime que la cour d’appel, en retenant souverainement que le journaliste établissait l’existence d’un lien de causalité entre la rupture et cette cession (malgré le délai écoulé), a légalement justifié sa décision. Les motivations secondaires alléguées par l’employeur n’ont pas été retenues comme motif principal de la rupture.

Conséquence de la Décision

Le journaliste était fondé à invoquer la clause de cession et, par conséquent, à prétendre à l’indemnité de licenciement prévue aux articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du Code du travail, ainsi qu’à des dommages-intérêts pour préjudice moral.

🔑 Portée de l’Arrêt

Cet arrêt est fondamental pour le droit du travail des journalistes. Il confirme une interprétation large et protectrice de la clause de cession :

  • 1 – Champ d’application étendu : Il ancre définitivement l’application de la clause de cession aux entreprises de l’audiovisuel et, plus généralement, aux entreprises de communication au public par voie électronique, harmonisant ainsi les droits des journalistes, quel que soit leur support.
  • 2 – Souplesse temporelle : Il réaffirme qu’il n’y a pas de délai de prescription pour mettre en œuvre cette clause, le seul critère étant que la cession ait été le motif principal de la rupture par le salarié, ce qui est une question de fait laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond.

Cette décision consolide la spécificité du statut des journalistes professionnels, leur permettant de rompre leur contrat de travail avec les avantages du licenciement en cas de changements majeurs affectant l’entreprise (cession, cessation de publication, changement d’orientation), y compris dans le secteur de l’audiovisuel.

Source : Cour de cassation, Chambre sociale, Pourvoi n° 24-16.723, Arrêt du 13 novembre 2025, publié au bulletin.

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