Par une décision rendue le 12 décembre 2025, le Conseil d’État a choisi de transmettre au Conseil constitutionnel une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) concernant les modalités d’application de la Contribution pour la justice économique (CJE), instituée à titre expérimental par l’article 27 de la loi du 20 novembre 2023.
Cette décision intervient suite à un recours pour excès de pouvoir formé par le Conseil national des barreaux (CNB) et plusieurs ordres d’avocats contre le décret d’application de cette contribution.
Contexte : la contestation de la contribution pour la justice économique
La CJE est une contribution financière que doit verser la partie demanderesse, à peine d’irrecevabilité de sa demande, pour chaque instance introduite devant les nouveaux Tribunaux des activités économiques (TAE, ex-Tribunaux de commerce), dans le cadre d’une expérimentation.
Les organisations d’avocats contestataires soutiennent que les dispositions législatives instituant cette contribution portent atteinte à plusieurs droits et libertés fondamentaux garantis par la Constitution, notamment :
- Le droit à un recours juridictionnel effectif (article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – DDHC).
- Le principe d’égalité devant la loi et devant les charges publiques (articles 6 et 13 de la DDHC).
- Le droit de propriété (articles 2 et 17 de la DDHC).
🧐 Le tri opéré par le Conseil d’État sur la QPC
Le Conseil d’État a examiné la demande de QPC selon les critères de l’article 23-5 de l’ordonnance de 1958 : applicabilité au litige, absence de décision antérieure du Conseil constitutionnel sur la disposition, et caractère sérieux ou nouveauté de la question.
1. Rejet concernant l’Article 26 (Tribunaux des activités économiques – TAE)
Le Conseil d’État a jugé que l’article 26 de la loi, qui étend la compétence des tribunaux de commerce renommés en « Tribunaux des activités économiques », n’était pas applicable au litige portant sur l’annulation du décret relatif à la contribution. Par conséquent, il a refusé de renvoyer la question de la constitutionnalité de l’article 26.
2. Rejet partiel concernant l’Article 27 (Contribution)
Concernant l’article 27, qui institue la CJE, le Conseil d’État a rappelé que le premier alinéa et les trois derniers alinéas (cadre général de l’expérimentation) avaient déjà été déclarés conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2023-855 DC du 16 novembre 2023.
Le Conseil d’État a estimé que l’allégation d’un détournement des justiciables des tribunaux de commerce en raison de la contribution ne constituait pas un « changement des circonstances » justifiant un nouvel examen par le Conseil constitutionnel.
3. Renvoi au Conseil constitutionnel des modalités d’application
En revanche, le Conseil d’État a jugé que les dispositions des deuxième à dixième alinéas de l’article 27, qui définissent les modalités d’application de la contribution, soulèvent une question présentant un caractère sérieux.
Ces alinéas fixent notamment :
- Le mode de calcul de la contribution (plafonnée à 5% des demandes, max. 100 000 euros).
- Les critères pour fixer le barème (montant des demandes, nature du litige, capacité contributive de la partie demanderesse).
- Les exemptions (procédures collectives, État, personnes physiques et morales de droit privé de moins de 250 salariés).
- L’application des règles relatives aux dépens.
Le Conseil d’État considère que les griefs tirés d’une atteinte au droit au recours effectif, au principe d’égalité devant la loi et au principe d’égalité devant les charges publiques sont suffisamment étayés pour nécessiter l’examen du Conseil constitutionnel. Il est notamment question de savoir si le montant potentiellement élevé de la contribution, même encadré, ne constitue pas un obstacle disproportionné à l’accès au juge.
Conséquences de la décision
Le Conseil d’État, sans se prononcer sur la recevabilité du recours en annulation du décret (point écarté dans le cadre de la QPC), transmet au Conseil constitutionnel la charge d’évaluer la conformité des modalités de la CJE aux droits fondamentaux.
Le Conseil constitutionnel dispose désormais d’un délai de trois mois pour statuer sur cette QPC. Sa décision sera déterminante pour l’avenir de cette expérimentation et pourrait potentiellement entraîner l’abrogation des dispositions législatives contestées si elles sont jugées contraires à la Constitution.
Texte officiel : Conseil d’Etat, décision n° 502001 du 12 décembre 2025.







